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LES DYNAMIQUES LINGUISTIQUES ET IDENTITAIRES EN MILIEU URBAIN SÉGRÉGÉ

PROUST Camille, doctorante en Sciences du langage, Université de Rennes 2, Haute Bretagne, thèse par Thierry Bulot, Université de Rennes 2.

Thèse en cours depuis septembre 2015.

Les dynamiques linguistiques et identitaires en milieu urbain ségrégé : étude du répertoire linguistique de jeunes filles noires et métisses au Cap.

Mots-clés : identités, représentations, plurilinguisme, discrimination, genre

  • Nous nous proposons d’étudier les usages linguistiques d’étudiantes de l’université du Cap afin de montrer en quoi ces choix linguistiques sont le reflet de changements dans la société sud-africaine. L’ouverture de l’université aux étudiants non-blancs au sortir de l’apartheid a été une première étape dans l’ascension de l’échelle sociale pour beaucoup de Sud-Africains noirs et métis. Encore aujourd’hui, elle permet un rapprochement entre des personnes de cultures différentes, qui n’entretiennent habituellement aucun contact.

  • La particularité de l’Afrique du Sud tient en effet au fait que les frontières linguistiques, culturelles et sociales entre les communautés sont très clairement associées à des frontières délimitées dans l’espace, héritées du régime de l’apartheid. On a d’un côté les « suburbs », c’est-à-dire les quartiers plus ou moins aisés de la ville, historiquement réservés aux populations blanches de langue anglaise ou afrikaans. Et de l’autre les « townships » qui sont les espaces les plus défavorisés de la ville. On distingue les townships de population métisse, où l’afrikaans est majoritaire et les townships noirs, où le xhosa est majoritaire et qui accueillent en outre de nombreux migrants nationaux et internationaux . *Or, si, dans la ville post-apartheid, les mobilités dans l’espace urbain ne sont plus restreintes par la détention d’un « pass », on peut se demander si les Sud-Africains franchissent les frontières, spatiales, linguistiques et culturelles qui les séparent des autres communautés ; ces frontières subsistant bien souvent sous la forme de « discours ségrégatifs », qui attribuent un lieu particulier à un groupe social, et de « discours discriminants », qui associent des attributs sociaux et langagiers à ces groupes. Or, ces discours ne sont pas toujours imposés de l’extérieur, par des personnes étrangères au groupe, ils peuvent aussi être appropriés par le groupe comme un moyen de définir une identité propre.

  • L’utilisation d’une langue peut ainsi être le vecteur de plusieurs postures identitaires. Pour les noirs de langue bantoue par exemple, l’utilisation de l’anglais apparaît bien souvent comme une condition nécessaire pour l’accès à l’emploi, à la réussite universitaire ou à l’engagement politique et donc comme une ressource à valoriser, mais il peut représenter pour d’autres la perte d’une identité authentiquement africaine, qui serait fortement liée à l’utilisation d’une langue bantoue. Cette dichotomie apparaît comme un enjeu particulèrement saillant pour les jeunes femmes pour qui l’utilisation de codes linguistiques valorisés socialement peut être déterminante pour parvenir à s’émanciper d’un milieu social contraignant. De Kadt (2009) montre ainsi que l’abandon de la langue de leur groupe ethnique par des étudiantes zouloues leur permet de signifier qu’elles n’acceptent plus les normes de leur culture d’origine, et notamment son refus de l’égalité des sexes.

  • Le cas des jeunes filles noires et métisses nous paraît particulièrement intéressant dans la mesure où certaines naviguent entre deux types d’espace forgés par deux types de discours : les quartiers ou les townships où l’identité communautaire et linguistique est très forte et les espaces potentiellement “neutres” car non revendiqués par un groupe social ou linguistique particulier, où les identités peuvent être renégociées, comme c’est le cas de l’université du Cap.

  • Nous nous intéresserons donc à leurs usages linguistiques dans les différents contextes qu’elles rencontrent, et notamment dans leurs interactions avec des membres de groupes sociaux ou linguistiques différents sur le campus. Nous tenterons de répondre à deux questions en particulier :

    • Quelle connotation, la référence au quartier ou au township d’origine a-t-elle pour ces étudiantes ? Et en quoi les usages linguistiques prévalant dans ces endroits freinent ou favorisent le développement d’une identité propre ?

    • L’adoption de nouvelles pratiques langagières à l’université participe-t-elle à la création d’identités nouvelles chez les étudiantes sud-africaines ?

  • Nous étudierons donc ce double mouvement de séparation, via la création d’identités situées (liées à un lieu précis) et excluantes, et de rapprochement, par la réunion des personnes en un lieu apparemment « neutre » (mais qui ne l’est pas forcément), l’université. L’université du Cap semble favoriser l’inclusion de toutes les franges de la société en son sein, via une politique de discrimination positive notamment. Cependant, les récents mouvements étudiants en faveur de la décolonisation de l’université (Rhodes Must Fall, Occupy Wits, Open Stellebosch) remettent en cause cette image d’ouverture et de pluralité. Il apparaît donc d’autant plus important d’interroger ce milieu, notamment dans son rapport avec les étudiants non-blancs.

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